« Back from Scotland »… Rocquette comme une fusée

Il faut le voir sur sa bouée, Rocquette, danser au soleil des Scillys en attendant son équipage avec une pointe d’impatience ; mais trois jours de mer depuis Islay autorisent bien quand même une petite pose scillonienne et quelques bières à la Mermaid !

Le départ sera vite mené et sans moteur de Port-Cressa car le vent monte. Toutes voiles dessus et bye bye Ste Mary et Spanish Ledge ! Plus que 140 milles avant de retrouver le Port-Rhu après ces quelques semaines aux Hébrides avec le YCC !

Rocquette est un coureur de large

Le bateau avale les vagues et fait tourner les barreurs. Le plaisir est grand, en attendant les premiers cargos, demain à l’aurore, vers 5 heures. « Route au 175, tribord amures » apparaît sur le livre de bord. Au rail d’Ouessant, on est toujours presque chez nous.

Le vent dépasse maintenant les vingt nœuds et un ris au crépuscule est raisonnable. Cela ne ralentira pas le bateau et nul besoin de réveiller tout le monde pour une manœuvre ultérieure ventée et nocturne… Yves monte en pied de mât et en deux minutes nous voilà repartis. Nous visons le SO du rail breton pour l’éviter et avoir à l’extérieur une latitude de manœuvre plus grande entre les cargos. Mais si le près devient difficile, nous devrons sans doute modifier cette belle route théorique. Les cargos se transformant par l’AIS en petites cibles de couleur, les croisements se gèrent autant à l’écran qu’en visuel ; ne pas oublier que certains, plus petits ou plus discrets, ne l’ont pas ….

Rocquette file 8 nœuds dans une nuit vraiment noire, les crêtes des vagues à peine visibles ! Après deux heures de barre, tout seul, la fatigue est là mais aussi le moment de bien s’imprégner de cette descente au débridé ! Gardons longtemps de tels moments à l’esprit !

Le cargo est maintenant quelque part sur bâbord mais on ne voit rien dans la boucaille. Quelle est en fait la visibilité réelle ? L’écran le donne à environ deux milles à l’est. Une pâle lueur, ses feux arrivent soudain à créer une sensation de quelque chose, un halo. Un voisin de rencontre de 128m en acier comme l’AIS le révèle plus tard. Milieu de Manche, nuit noire et un peu de vent. Nos routes sont presque parallèles et il sait, mais sûrement sans nous voir, qu’un voilier est à proximité . C’est excitant. L’homme de quart y est peut-être aussi fatigué que le barreur de Rocquette. A quoi pense-t-il ? Les lumières s’estompent en dix minutes car il marche deux fois plus vite. Il est temps de changer de barreur plutôt que de continuer à rêver éveillé. Sommeil immédiat le temps de se coincer entre les bancs. Cette nuit, l’équipier de quart peut dormir dans le cockpit, il n’y a pas de navigation à mener en permanence.

Après un moment rempli de rêves de barreur, le sommeil s’estompe, la lumière a légèrement changé. C’est l’aube et l’aube c’est le rail, notre rail. Tout le monde est déjà réveillé et bien réveillé… Rocquette file toujours SSE à 7 nœuds mais l’écran du traceur s’est rempli en plus de petites flèches colorées qui nous barrent la route. Au dehors, l’horizon fait semblant d’apparaître bordé d’une multitude de feux. Nous sommes évidemment un peu plus nord que prévu et il faudra couper le flot ininterrompu pour continuer vers les Pierres-Noires.

« Business as usual », ce flot de cargos ne cesse jamais et un autre en sens inverse nous attends quelques milles plus loin. Nous sommes juste à   l’extérieur! Ils doivent aussi nous voir sur leur écran, tout comme les contrôleurs de Ouessant-Trafic. Un remorqueur marche devant nous à 3,8 nœuds et trois cargos entre 12 et 18 nœuds sont un peu plus loin. Nous décidons de passer un mille devant le remorqueur… C’est parti… Comme nous approchons, il allume un puissant projecteur. Les feux de sa remorque sont maintenant visibles et il n’a vraiment pas l’air de nous vouloir à proximité. Nous virons puis remontons NE. Trois nouveaux cargos approchent. Nous repartons à l’assaut en laissant cette fois passer le remorqueur et, passant bien devant les premiers, nous visons l’arrière du troisième. Vingt minutes pour traverser à vive allure… Le dernier navire a cependant modifié sa route pour nous passer derrière. Ce n’était pas prévu de le déranger mais chacun de nous deux a maintenant une intention bien claire et c’est correct. Nous reprenons donc notre cap initial. Le petit tanker est maintenant bien visible dans la belle lumière dorée du nouveau jour. Il nous croise sans se manifester, un mille derrière ! Fin de la première mi-temps et ambiance excitante dans ce vent du matin vraiment bien frais et ce ciel bleu….

« Rocquette, Rocquette … » à la VHF. Un chalutier à perches cornouaillais dans la zone intermédiaire nous a maintenant identifié à l’AIS et commence à s’inquiéter de notre présence. Le canal de dégagement qu’il nous indique reste cependant muet….

Nous avons maintenant abattu et filons SO vers le rail montant. Sept cargos s’y profilent sur 4 à 5 milles ? Ca va être chaud ! D’autres pêcheurs sont au boulot, perches déployées. Il y a du monde dans le bourg ce matin ! Sommes-nous peut-être les touristes qui perturbent les travailleurs ? Non, pas vraiment ; Rocquette est très attentif à bien naviguer.

La limite du DST n’est plus qu’à quelques milles au sud. Autant y aller et sortir du dispositif en tirant encore quelques bords dans la zone intermédiaire car le flot de cargos montants ne faiblit pas vraiment. Encore une demi-heure et la limite, bien visible en rouge sur l’écran, est atteinte. Cap au SW vers Douarnenez maintenant. Nous passons devant deux « petits » navires tandis qu’un mastodonte se profile au sud et nous passe un demi-mille derrière. Le Marco-Polo, 396m, 16000 EVP file à plus de 20 nœuds vers les ports du nord.

Depuis le temps que je voulais le photographier ; il fallait savoir en fait se lever très tôt … du coté nord d’Ouessant.

© Gildas Hémon – 2016